« Il était allongé sur son lit, le regard fixé au plafond. Il tentait de faire le vide dans son esprit. Les murs de sa cellule étaient d'une couleur grise, terne. Du bitume, sans plus. Nolan était enfermée dans cette pièce depuis déjà plusieurs jours. On l'avait changé de secteur parce qu'il était considéré comme dangereux pour lui-même, mais surtout pour les autres. Cela ne le dérangeait pas. Ce qui le préoccupait et le mettait dans un état de crispation, était que sa sœur, Clara, ne l'avait pas rejoint. Elle était restée dans l'ancien secteur où tout deux résidaient. Mais seul lui avait été transféré ailleurs. La raison? Clara avait été considérée comme une simple névrosée "pacifiste", ne pouvant être un danger. Ce qui l'avait fait largement sourire. Clara? Un agneau? Rien que d'y penser, il souriait, passant ses mains sous sa tête, bras écartés. Il se disait qu'elle n'avait rien d'un ange et qu'elle était vraiment douée pour faire semblant. Elle avait réussi à berner des professionnels! Elle avait réussi à faire croire qu'elle était une adorable jeune fille. Mais à son expression, il avait su que cela n'était pas à son goût. La connaissant par cœur, il avait remarqué qu'elle avait changé d'expression, de comportement. C'était peut-être imperceptible pour les autres, mais pas pour lui. Mâchoire serrée, poing fermée, regard noir. Oui, elle avait mal réagi. Alors que cela aurait été un compliment, voir un soulagement de ne pas être considéré comme un malade mental, Clara ne l'avait pas pris pour un compliment, bien au contraire. Nolan l'avait vu et dans un regard, il avait compris qu'elle n'allait pas en rester là. Il ne savait pas comment elle allait procéder, mais il savait qu'elle ne mettrait pas longtemps à venir le rejoindre. Le jeune garçon était serein. Mais il n'avait pu s'empêcher de s'inquiéter. Il n'avait pas apprécié la manière dont on l'avait arraché à sa sœur. Bousculé, emporté, secoué par deux gardes qui l'avaient emmené sans vergogne. Il n'avait pu lui dire "au revoir". Non, Nolan n'avait vraiment pas apprécié cette scène. Surtout qu'elle s'était déroulée sous les yeux de sa sœur. Il connaissait ses angoisses, ses peurs, notamment celle de l'abandon. Cette peur irréversible d'être abandonnée. Nolan savait qu'il était son seul repère à travers le brouillard. Il avait peur, qu'en restant loin de lui trop longtemps, qu'elle pète un câble et fasse une bêtise. Et plus les jours passaient, plus il s'inquiétait.


Cela faisait maintenant une semaine... aucune nouvelle de transfère dans son secteur. Clara n'avait toujours pas montré le bout de son nez. Bon, le jeune homme avait la chance de la voir durant les moments des repas et encore, durant les pauses. Il pouvait la retrouver, se mélanger avec les autres, passer à travers pour enfin la rejoindre. Le jeune Hoffmann profitait de ces instants si court, mais tellement intense. Il avait remarqué que son amour fraternel s'était renforcé. Plus il s'éloignait d'elle, plus il souffrait, son cœur débordant d'un amour qu'il n'avait pu imaginer. Ne pouvant le contrôler, il avait laissé faire cet étrange sentiment prendre place, se laissant bercer. Il appréciait, voir, se nourrissait de cet amour pour reprendre des forces et se dire qu'il allait la revoir. Chaque jour, il était tenu en haleine. Il ne pensait qu'à elle. Il ne pensait qu'à la revoir. Cela devenait presque une véritable obsession! Mais il fallait le dire. Nolan n'avait jamais été séparé de sa sœur aussi longtemps et au fond, il le vivait mal. Il pouvait vivre, traverser vents et tempêtes, mais pas sans sa sœur. Car, comme lui est son pilier, sa sœur est la même chose pour lui. Sans elle, c'était comme s'il perdait ses repères. Il devait se l'avouer, sans elle, il n'était rien. Il portait pour elle un amour tellement fort que cela pouvait paraître malsain aux yeux des autres. Il a souvent entendu les pires horreurs sur eux. Cependant, il ne voulait pas porter de l'importance à ces remarques affligeantes. Nolan et Clara étaient frère et sœur, rien de plus. Leur lien était fort, puissant, indestructible, mais pas incestueux, même si certains gestes pouvaient mettre le doute. Il pensait donc souvent à elle, perdant parfois patience dans sa petite cellule lugubre. Il se faisait chier comme un rat mort! Il avait envie de la revoir, de lui parler, de jouer avec elle, de l'écouter parler de la mort et de ses travers. Certes, sa sœur n'était pas la personne la plus joyeuse et la plus saine d'esprit, mais au moins, il la comprenait et l'acceptait comme elle l'était. D'ailleurs, lui aussi n'était pas très sain, il était même pire, sûrement. Désigné comme une personne ayant un comportement sociopathe, Nolan avait bien du mal à paraître pour un gentil bonhomme. Il avait cette étiquette qui le suivait partout. Dans le regard du personnel, il pouvait lire la méfiance, la peur et parfois la colère. Le jeune Hoffmann était plutôt craint et quand il avait ses séances de psy, il n'était jamais seul dans la pièce. Deux gardes musclés le cernaient, au cas où il viendrait à enfoncer la pointe du stylo bile dans la gorge du psy... Il le prenait vraiment pour un malade?! Il savait se contrôler, ce n'était pas un taré! Il savait contrôler ses pulsions. A cette pensée, il poussa un soupir las, prenant l'oreiller pour enfuir sa tête. Il allait finir par péter un câble dans cette cellule!


Soudainement, des braillements se faisaient entendre dans le couloir où sa cellule se trouvait. On entendait les patients s'agitaient au loin, cognant leur gobelet en fer contre les barres de la porte. Et plus les secondes passaient, plus ce vacarme incessant s'approchait de lui. Nolan se demandait ce qu'il se passait. Il enlevait l'oreiller de son visage, tournant la tête en direction de la grille qui lui servait de porte de chambre. On aurait pu se croire en prison. Il pouvait entendre des obscénités, des sifflements, des "ma jolie" à répétition. Il allait passer sur les détails, mais ce comportement bestial de la part de ses camarades de cellule le rendait perplexe et l'inquiétait aussi. Il se levait donc de son lit pour s'approcher de la porte. Passant les bras à travers les barreaux, posant ses coudes dessus d'un air nonchalant, il collait son visage contre ces derniers pour regarder dans la direction où les bruits provenaient. D'un côté, il n'allait pas se plaindre. Il y avait au moins de l'animation. Mais plus il tentait de voir ce qui se passait, plus il reconnu au loin une silhouette familière. Cette personne dont ses camarades balançaient des obscénités et des compliments plutôt déplacés... cette personne n'était autre que sa propre sœur! Il n'en revenait pas! Elle avait réussi! Elle avait réussi à se faire transférer, mais il ne savait absolument pas comment elle avait fait. Cependant, ce qu'il pouvait entendre ne le faisait plus rire. Toutes ces paroles étaient destinées à sa sœur et cela, il ne pouvait pas le supporter. Le regard furibond, serrant ses poings autour des barreaux, il retenait sa rage.


"Bande de sales cons! Continuez à balancer vos perversités et je ferais un plaisir de vous découper en rondelle!"


Il criait à travers les barreaux alors qu'il voyait le cortège de sa sœur arriver. Il entendait certains patients rires et le charrier, balançant des "sois pas jaloux!", "joins-toi à nous" ou encore "c'est ton amoureuse? Elle est bonne?" Il avait envie de les exploser. Sa colère faisait rage à l'intérieur. Il serrait ses poings à s'en faire péter les jointures. Il voulait défoncer les barreaux, aller chercher sa sœur et fuir avec elle. Il pensait alors que cela avait été une mauvaise idée qu'elle veuille le rejoindre. Il ne voulait pas qu'elle soit en danger. Il ne voulait pas qu'elle soit entourée de ces pervers. Comparé à son ancienne cellule, cette partie était beaucoup plus calme, comparée à celle-ci. Au fond, sa sœur aurait dû rester là-bas, mais d'un autre côté, il était heureux de la revoir.


"C'est ma sœur bande d'obsédés! J'ai envie de..."


Il se contrôlait. Beaucoup trop. A tel point qu'il pris la lampe de chevet pour la balancer à l'autre bout de la pièce. Des éclats retombaient au sol dans un bruit fracassant. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas exprimé cette rage, qu'il n'avait pas laissé ses pulsions prendre le dessus. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas fait du mal... et il avait bien envie de s'en prendre à ces pervers. De leur faire ravaler leurs langues et leurs couilles!


Sa sœur passa donc devant sa cellule. Elle avait lâché son cortège, reconnaissant la voix de son frère. L'apercevant, il se précipita vers elle, lui prenant ses mains entre les siennes.


"C'est de la folie! Qu'as-tu fais?"


Clara lui adressait un mince sourire, tendre. Elle ne regrettait rien, elle lâchait simplement.


"Mon ancienne chambre ne me plaisait pas... j'ai voulu changer..."


Sur ces mots, Nolan n'avait pu s'empêcher de rire. Cet instant de tendresse fût interrompu par les gardes qui repris sa sœur par les bras pour l'emmener dans sa cellule... celle qui se trouvait à droite de la sienne. Elle était vide depuis quelques semaines... à cet instant, Nolan allait finir par croire au destin. Après quelques instants, ayant attendu que les gardes s'en aille, il pris la parole.


"Alors?"


Il savait qu'à ce simple mot, Clara allait comprendre.


"J'ai empoisonné le Docteur Ratighan..." disait-elle d'une voix calme. Elle avait l'air paisible.


"Le poison?"


Un silence venait surplomber la conversation. A travers le mur, Nolan pouvait sentir sa sœur se rapprocher. Il la sentait collée au mur, tout près de lui. Et dans un chuchotement.


"De la mort aux rats!" finissait-elle par dire dans un léger rire comme une gamine qui venait de faire une bêtise.


Le jeune homme souriait. Cela ne l'étonnait pas... ne l'étonnait plus. Il souhaita bonne nuit à sa sœur avant de rejoindre son lit. Il était plus apaisé, plus serein. Sa sœur était à ses côtés. Il pouvait maintenant respirer. Clara...»