Pour Noël, c'était souvent les mêmes choses qui se passaient. Premièrement, il y avait des préparatifs qui duraient plusieurs jours pour le repas de midi, lequel était toujours un peu spécial, puis venait ensuite l'installation de décorations dans le réfectoire et enfin la musique à thème... forcément, même si c'était perturbant pour moi de voir du mouvement de partout, je m'étais peu à peu habitué et à présent, j'aimais même beaucoup ce moment de l'année. À la maison, on faisait toujours un sapin entre le 4 et le 9 décembre et au 25, tout le monde recevait le droit d'ouvrir un cadeau qui lui était adressé... c'était pourtant différent à Rosewood. « Ca leur coûtait trop cher d'offrir quelque chose à chaque résident », m'avait dit madame Hopkins, quand j'étais venu la voir pour lui demander s'il y avait un paquet pour moi. Dans un premier temps, cette réponse m'avait carrément énervé, car ça ne correspondait pas à ce que j'avais en tête et tout ce que j'ai reçu de la part de la dame, c'est des réprimandes... comme quoi je devais apprendre à me contenter de ce que j'avais et cesser de faire l'enfant capricieux. C'était pas juste, vraiment pas juste. Ah, la première année ici avait été très difficile, c'est le moins qu'on puisse dire... à Londres, je comptais toujours le nombre de jours qui séparaient les différents événements de l'année et en arrivant dans l'enceinte de l'asile, tous mes repères s'étaient perdus, ce qui était parfaitement traumatisant pour l'angoissé que je suis. S'il n'y avait pas eu quelqu'un pour m'expliquer ce qui se passait à chaque fois que je piquais mes crises parce que rien ne collait à mes schémas mentaux, je crois d'ailleurs que le problème de mon adaptation ne serait toujours pas (à peu près) au point où elle en était aujourd'hui. Heureusement pour tout le monde, le temps avait fait son travail et j'avais même fini par prendre la grande décision de faire moi-même des cadeaux à certains résidents, en piochant directement dans mes objets personnels récoltés au fil des saisons. Ce qui était encore mieux que tout, c'est que cette année, Innocent m'avait amené quelque chose lors de notre séance d'hier, dans un joli emballage rouge. Une attention qui m'avait rendu fou de joie comme jamais jusqu'à présent ! Voila... autant dire que j'étais vraiment très très content de ce mois de décembre et que j'avais passé ma journée à essayer de comprendre comment fonctionnait le casse-tête offert par mon psychologue. Passant de l'énervement à la concentration, puis à nouveau à l'énervement, ainsi de suite pendant une petite dizaine d'essais, je jetais à plusieurs reprises l'objet contre le mur de ma chambre, dans des excès de rage, avant d'aller le rechercher systématiquement juste après... mais finis tout de même par abandonner le défi. Si ça n'était pas pour aujourd'hui, ce serait pour demain... mais j'y arriverais. Il fallait trouver la logique sous-jacente.

En attendant, j'avais d'autres chats à fouetter. La nuit commençait à tomber... et j'avais quelque chose à faire cette nuit. Après le signal donné par la porte du fond qui se fermait, je me suis posté devant la mienne pour attendre l'arrivée du gardien du soir, ceci sous le regard curieux de mon voisin d'en face qui essaya de me parler pour attirer mon attention. Ah ! Je ne supportais pas qu'on me parle lorsque je devais réfléchir ! Aussitôt, mes mains se collèrent contre mes oreilles pour atténuer le bruit et j'intimais au monsieur de se taire, tout simplement parce que je n'entendais plus rien de ce qui se passait dans ma tête à cause de lui. Ce que je devais accomplir était très important, alors je n'aurais pas du tout supporté qu'il gâche tout et lui aurais sans doute balancé son petit déjeuner au visage demain s'il avait fait rater l'opération en cours.

Néanmoins, tout se passa quand même selon mes calculs et dix minutes plus tard, je suivis le gardien qui était venu me chercher pour aller à la salle d'eau avec d'autres personnes de mon groupe. Il y avait toujours cette fille qui l'embêtait et ça, je l'avais bien remarqué, car ça distrayait suffisamment le Responsable principal pour qu'il oublie de surveiller ses poches. Ni une ni deux, c'est donc dans un geste habitué que je parvins à récupérer les clés qui se trouvaient dans sa veste et que je m'éloignais un peu pour les analyser afin de trouver celle qu'il me fallait. Ceci fait, je m'en saisis, puis laissais tomber le reste du trousseau plus loin, jusqu'à ce que quelqu'un le voie et qu'une vague d'agitation se soulève pendant quelques minutes. Oh... c'était pas très malin de ma part, pour le coup ! J'aimais pas du tout quand les autres s'excitaient, ça me stressait à un point non négligeable. Tellement non-négligeable que je me suis aussitôt paralysé sur place, en parfaite victime de ma propre bêtise que j'étais, jusqu'à ce qu'on vienne me chercher et qu'on me ramène gentiment jusqu'à mon lit en me tenant par la main ( désolé... mais j'ai tellement ris en imaginant la scène quand je l'ai écrite que j'ai pas pu me résoudre à la changer XD ).

Une heure neuf du matin. J'ouvre les yeux, puis je me lève, le coeur battant. Par besoin de me calmer, je fis plusieurs fois le tour de la petite pièce dans laquelle je dormais depuis des années et en sortis enfin grâce à ma nouvelle clé passe-partout. Aile Ouest, il fallait rejoindre l'aile Ouest. C'était la première fois que je me promenais vraiment seul, là-bas, au beau milieu de la nuit et Dieu sait que j'étais à moitié terrorisé par le noir, malgré le fait que je connaissais très bien le chemin à prendre. En plus, il faisait bien froid par ici... j'avais vraiment envie de retourner en arrière et de me glisser sous la couette, mais je savais aussi pertinemment que ça aurait été très lâche de ma part, quand bien-même j'avais pris des engagements. Voila, des engagements ! Je n'avais pas l'intention de décevoir la personne à qui j'amenais son cadeau de Noël aujourd'hui, pas question, même si j'en tremblais des pieds à la tête à chaque fois que j'entendais un bruit dans les couloirs.

En raison de ma peur, je fus ralenti dans ma progression et il me fallut plus de temps que je l'avais planifié pour arriver dans la zone désirée. À ce moment-là, j'avais cependant arrêté de compter les minutes et ne me concentrais plus que sur la localisation de la bonne porte. Eh oui, le fait est que si j'ouvrais la mauvaise serrure, je signais éventuellement mon arrêt de mort, alors je pris la peine de vérifier trois fois que j'avais bien fais mes calculs. Oui ? Non ? Oui ? Non ? Une fois n'est pas coutume le stress ajouté à l'hésitation me poussèrent à agripper ma tête entre mes doigts et je finis même par m'asseoir par terre, tout simplement en raison du blocage total que cela provoqua en moi. Ces portes étaient toutes pareilles dans la pénombre, c'était impossible de s'y retrouver ! Peut-être qu'on l'avait changé de cellule ? Peut-être même que j'étais dans le mauvais couloir ? Peut-être que j'étais perdu ? Peut-être que l'un d'entre les gens dangereux se baladait dans le coin ?! Les questions ne firent que s'accumuler les unes aux autres à partir de là, empiétant presque totalement sur ma capacité à réfléchir et dépassant largement la raison de ma venue dans cette zone sombre de Rosewood. Si j'étais capable de mettre au point des stratégies particulièrement élaborées pour atteindre mes objectifs pratiques, j'avais surtout une une capacité psychique à supporter les perturbations très limitée. À chaque fois qu'il y avait cette rencontre de choc entre ce que je voulais faire et ce que mon cerveau n'était pas capable d'encaisser, donc, je devenais complètement inefficace faire pour quoi que ce soit de constructif. Pas très efficace pour la survie, mais voila. Je finis tout de même par reculer jusqu'à la porte en métal derrière moi et fis de mon mieux pour ne pas ouvrir la bouche, même si le bruit de ma respiration était plutôt audible à lui-seul et que je pensais à voix-haute en me chuchotant à moi-même les mots-clés de mon débat intérieur.