Kaveh avait les yeux grands ouverts. Dans l’obscurité de sa chambre vide, il fixait le mur devant lui sans sourciller, comme si cligner des yeux allait le replonger dans ses cauchemars. Seule la faible lueur de la lune pleine traversait la pièce, l’unique éclair de la nuit qu’il appréciait, qui le rassurait. Le couvre-feu était passé de peu et si peu d’occupants de l’asile respectait cette règle illusoire, elle signifiait seulement que son service de nuit allait bientôt commencer. Il avait essayé de se reposer avant cette longue veille mais en vain. C’était toujours les mêmes images terrifiantes qui hantaient son esprit, la même sensation de suffocation. Le sommeil lui ôtait la vie, fermer les yeux l’asphyxiait de cette peur irrémédiable de replonger à nouveau. Il ne supportait plus toujours cette même litanie, ce même tableau qui se reproduisait encore et encore. Il serrait de toutes ses forces Spike dans ses bras, qui était monté sur son lit pour l’occasion. Il avait toujours le flair pour ressentir la peur. Heureusement que le canidé était de constitution solide car il aurait pu l’étouffer sous l’angoisse. Ses pupilles ne flanchaient pas, tremblaient sous la déshydratation mais ses paupières jamais ne battaient. Il avait comme l’impression de voir des ombres graciles danser devant lui, de douces voix murmurer à ses oreilles un prénom qui n’était pas le sien, une mélodie enchanteresse la bercer pour qu’il s’endorme enfin. Mais Kaveh ne succombait pas. Peut-être cet asile finissait par avoir sa peau aussi, à grignoter lentement son âme pour ne laisser qu’une raison brisée ? Soudain, on tambourina brutalement à sa porte pour lui indiquer qu’il allait prendre le relais. Il ne sursauta même pas, ses hantises étaient bien plus terrifiantes que ça. L’homme barbu sortit de sa torpeur comme si plus rien ne l’habitait. Il enfila son blouson, noua ses cheveux d’un bandana rouge. Il coinça la matraque à sa ceinture. Il détestait s’en servir, user de ses mains était tellement plus  jouissif. Son regard s’était illuminé d’une détermination sans faille, d’une assurance qu’on ne lui avait pas connue quelques minutes auparavant. C’était à cet instant précis que son quotidien démarrait enfin, qu’il allait pouvoir tout oublier, le temps de se distraire. L’asile était devenu son terrain de jeu, les pauvres patients ses camarades dont il s’occupait à sa manière. Avant de partir, il s’agenouilla près de la fenêtre pour décrocher une planche de son parquet. Devant ses yeux s’offrit le plus galvanisant des butins. Sous la lune, brillaient ses trésors, fruits de nombreux larcins en plusieurs années de service. Des bijoux surtout, il adorait ce qui brillait. L’argent se reflétait dans des filaments célestes. L’or renvoyait ses nuances ambrées contre les murs froids de sa chambre. O cupidité malsaine, doux pillage incontrôlable, tu excitais ses sens meurtris, tu enveloppais l’âme perdue d’une tendre consolation. Car Kaveh avait perdu son cap, et tu étais le phare qui guidait son existence.