« Tu ne devrais pas entrer là-dedans, ce n’est pas bien, mais tu vas le faire quand même. Tu n’es même pas certain d’avoir le choix, tu l‘as, tu peux te condamner à un enfer, oui mais non, tu préfères être un méchant garçon et entrer là-dedans. Quelqu’un sort, tu rentres, et tu t’assois précipitamment devant la psychiatre. « Bonjour. » tu n’as pas peur, tu as pris l’habitude de ne pas avoir peur, mais tu sais que quelque chose va te tomber dessus, et qu’il y a peu de chances pour que tu apprécies ce qui va te tomber dessus. Au moins, elle ne te pique, c’est déjà ça, c’est un bon début, tu aurais envie de penser. « Bonjour. Tu es le fils de Charles? » Elle sourit, c’est bon signe, tu crois. Tu préfèrerais encore être reconnu pour ta pathologie que pour ton psychiatre et paternel, ça te vexe un peu, pas trop quand même, mais tu es tout de même autre chose que le fils d’un brillant psychiatre. « Je m’appelle Kilian. Et je veux un autre psychiatre. Ou une autre. » Clair, net et précis, comme on dit. Tu flippes pas du tout, mais tu es sûr que quand ton père va savoir que tu es venue la voir - et il le saura, c’est certain - il te tuera, au sens figuré, et peut-être même au propre. Elle s’apprête à parler et tu parles avant qu’elle ne puisse refuser. « Il n’est pas du tout objectif, il me déteste et…et, il est incapable de m’analyser - ou de s’occuper de moi - comme il  faut. Je veux pas être qu’avec lui. Vous le connaissez pas. Il est…il est. » Tu n’arrives pas à croire que tu vas dire ça, tu ne vas pas améliorer ton cas, peut-être même l’empirer, et c‘est plus que faisable. « C’est un pirate. » Il n’a peut-être pas de bateau ou de jambe de bois, mais c’est un pirate, dans son cœur, c’est un pirate, alors que dans le tien, tu es enfant, vous n’avez rien à voir, l’un avec l’autre. « Un pirate? » Tu ne sais pas si elle est sceptique, qu’elle pense que tu sors ça à cause de ta pathologie ou si elle pense que tu inventes ça pour qu’elle te prenne comme patient. « Oui, un pirate. Quelqu’un qui se fait de l’argent sur le dos de son fils, j’appelle ça un pirate, pas vous? » Elle vient de faire un bruit de cinq secondes avec sa bouche, tu crois que c’était un rire, il te semble que c’était ça. Content de savoir que tu fais toujours rire, être dans cet asile ne t‘a pas changé, c‘est la bonne nouvelle de la journée. « On peut voir ça comme ça, oui. » Elle commence à écrire sur un carnet. Tu te penche pour voir ce qu’elle écrit mais avec cette écriture de médecin - égale à celle d’un enfant de maternel - impossible de déchiffrer le moindre mot. « Ton père, tu lui reproches de t’avoir emmené à l’asile? » Tu souris. C’est le type de question qu’un psychiatre pose à son patient. « Ne souris pas comme ça. Tu continueras de voir ton père. Mais j’accepterai de te prendre de temps en temps. » Tu ne souris plus, et réfléchis à la question. Tu ne penses pas reprocher à ton père de t’avoir emmené à l’asile. Ca, tu l’as accepté sans trop de difficulté. Tu réfléchis, ta relation avec ton père est complexe, tu n’es pas certain toi-même d’avoir encore réussi à la comprendre. Peut-être y arriveras-tu un jour? « Il n’a pas fait que m’emmené à l’asile. Ca, ce n’est pas important, ça ne l’a jamais été, s’il a toujours pensé que je suis fou, ben, c’est son problème, pas tellement le mien. Non, non, moi, je lui reproche juste de m’avoir piégé, il m’a fait croire qu’on allait jouer ensemble, alors qu’il voulait juste m’interner. Enfin, j’aurais du savoir, parce que je crois qu’on n’a jamais joué ensemble lui et moi, même quand ma mère était là, mais ça me choquait pas parce que je jouais avec elle, donc ça me gênait pas de pas jouer avec lui, parce qu’elle était là, mais elle est partie, donc j’ai plus grand monde avec qui jouer, mon père aime pas jouer avec moi, je ne sais même pas s’il m’aime tout court, j’aurai du me douter qu’il y avait quelque chose de louche quand il a voulu jouer avec moi, mais j’ai voulu croire qu’il était sincère, parce que je voulais croire qu’il m’aimait, malgré tout. » C’est vrai que tu n’as pas aimé quand il t‘a fait croire que vous alliez jouer ensemble alors qu‘il disait vouloir jouer, c’était pas très gentil, tu ne lui feras sans doute plus jamais confiance après ce coup-là. C‘est si dommage. Puis, ta pathologie était celle d’être condamné à être un eternel enfant, il a du se douter que ça te toucherait, c’était peut-être même le but, que ça te touche. Il a détruit ce si beau jeu avec son piège. « Tu crois que ton père ne t’aime pas? » Tu ne l’aurais pas choqué par hasard? Tu ne vois pas ce qu’il a de si choquant au fait que ton père n‘éprouve pas la moindre affection à ton égard.. Ton père ne t’a jamais fait de câlin ou glissé un petit je t’aime. Tu ne vas pas dire qu’il te déteste, bien que ce soit possible, mais tu n’en sais rien. Mais il t’a toujours donné des marques d’antipathie contre aucune d’amour. « Aucune idée. Peut-être qu’il m’aime, peut-être qu’il m’aime pas. Sincèrement, je n’en sais rien. »


Ca fait trois ans que tu joues à ça, à avoir deux psychiatre, celui qu’on t’a imposé et celui que tu as choisi. Ce n’est pas le plus amusant de tous les jeux que tu connais, mais ça permettait que les journées avec ton père te paraissent un peu moins horrible. Tu aurais bien du te dire qu’un jour ou l‘autre, il te prendrai la main dans le sac. Et c’Est-ce qui est arrivé.  Il t’a pris par le bras et t’a tiré dans son cabinet. C’est bon. Il va te montrer ses instruments de torture et s’en servir contre toi. Ce n’est qu’un dur moment à passer. Il suffit de fermer les yeux et de tenter d’oublier la douleur que tu ressentiras très bientôt. Ce regard! Il a une pathologie lui aussi, c’est certain, il n’y a pas une névrose pour les personnes qui ont besoin de faire besoin de preuve de sadisme, ça doit bien exister, quelqu’un devrait lui dire que lui aussi est fou, mais tu n’es pas certain que ce soit le meilleur moment pour le lui apprendre. Il s’assoit lourdement en face de toi. Un hippopotame l’aurait fait avec plus de douceur. Ca aussi, ce n’est pas la peine de le lui apprendre, ni maintenant, ni jamais. « Qu’est-ce que tu faisais avec elle? » Changement d’avis. Au lieu d’être un pirate, c’est un ogre qui dévore les enfants, ça aussi, être cannibale, c’est une pathologie. Bon, il est peut-être pas cannibale mais sadique, c’est certain. « Je voulais faire connaissance avec tes collègues. S’il te croit, tu lui décerneras le prix du pirate le plus idiot de toutes les mers. Non, il te croit pas. Tu crois qu’il va t’étranger avec ses deux grosses mains. MAMAN! PAPA! JE SUIS  TROP JEUNE POUR MOURIR! C’est vrai, ta mère ne viendra pas te sauver, elle est morte. Tu crois que je vas faire une dépression si tu commences à penser à elle, tu es fou, à ce qu’on dit, tu en fais peut-être déjà une. Et ton père, c‘est celui qui va te tuer, tu es magnifiquement bien parti côté survie et famille. Tu pourrais presque en rire mais tu crains la réaction du paternel. Tu vois à son regard qu‘il sait que tu mens. Et tu n‘es pas doué pour mentir, tu détestes ça, même auprès de lui. « Euh…….. En fait, il fallait que je parle à quelqu’un d’autre. Ben ouais, t’es mon psy et mon père, donc forcément je pense et dois dire plein de trucs sur toi. Et je peux pas te les dire à toi, parce que sans vouloir te vexer, t’es susceptible, mais je dis pas ça pour te vexer ou t’énerver, c’est sans te vexer, mais t’es la personne la plus susceptible que j’ai eu à rencontrer de ma très très longue vie. » Tu n’as pas l’air de l’avoir vexé. Pourtant, tu pensais qu’il serait très fâché. Tu devrais peut-être lui donner une petite claque pour le réveillé et l‘informer que tu viens de l‘insulter, mais tu te dis que ça va pas le faire pour toi si tu ne fais que le toucher. Tu attends cinq minutes. Il est peut-être mort sur sa chaise, le vieux. Tu commence à l’ignorer puisque qu‘il t‘ignore aussi. Tu te balances sur ta chaise, tu joues au jeu des ombres et chante. Oui, il est mort. Tu n’aimes pas cette pièce. Elle est sombre, on sent que le type qui y vit est le mal incarné. Tu te lèves. Tu préfères jouer ailleurs et avec quelqu’un d’un peu plus vivant et d‘un peu plus bienveillant, même réveillé ton paternel n‘est pas très joueur. « Laisse tes fesses là-dessus! » Tu sautes au plafond, ou pas loin, Tu n’as jamais eu aussi peur de toute ta vie. Il ne va pas bien de crier comme ça! Tu te rassois, Tu ne t’opposes pas à sa volonté, comme à la base, il était censé te découper en morceau, tu ne vas pas te plaindre de ta belle et miraculeuse survie. « Tu disais rien alors j’ai cru qu’on avait fini. » Tout à fait, fini, sans avoir même commencé. Tu le fais exprès. Si tu ne te tais pas, tu vas vraiment te faire tuer. Mais il n’a pas l’air très motivé, tu n’as pas l’impression qu’il soit d’humeur meurtrier. Tant mieux. Son regard croise le tien. C’est censé te faire fuir ou crier, c’est certain, mais tu ne prends pas tes jambes à ton coup, il ne te connais pas si bien que ce qu‘il le pense, le vieux, tu n’es pas froussard, il ne manquerait plus que tu es peur de ton propre père, ce serait véritablement scandaleux. Si tu avais peur - rien qu’un peu - de lui, ça ferait longtemps que tu le lui aurais montré, et tu ne le lui as jamais montré. S‘il a vu de la peur quelque part, c‘est qu‘il l‘a inventé. « Qu’est-ce que tu t’ais fais à la main? » Qu’est-ce que tu disais? Il est complètement sadique. Tu le soupçonnes d’admirer ta blessure, depuis le début. Ouais, tu as un bandage à la main, tu t’es fait ça à la guerre des fous, plus sérieusement - ça t’arrive de l’être une fois par moi, avec un peu de chance - tu t’es fait ça l’autre nuit, tu devrais arrêter de dormir, mais tu as peur de moins vouloir jouer si tu manques de sommeil. « Je suis somnambule, tu te souviens? Ce que je n’étais absolument pas avant d’entrer ici. Ben, je me suis fait comme ça. » Il est pathétique. Franchement, là, il sourit, psychopathe, il sourit par la blessure de son enfant. Il n’y a rien de drôle. Vraiment! « Intéressant. Tu deviens peut-être masochiste. » Il sait très bien que non. C’était inconsciemment. Puis, tu ne peux pas avoir trois pathologies, comme si les deux qu’on t’avait trouvé ne suffisait pas. Tu t’es fait ça pendant que tu dormais. Tu rêvais que tu jouais avec plein de petits garçons aux cowboys et indiens. Il doit être possible de se blesser dans ce jeu. Il faudra que tu y réfléchisses, histoire qu‘il n‘y ait pas de blessé quand tu joues avec les autres fous. « Tu dis n’importe quoi? J’ai fait ça pendant que je dormais. Pfffffffffffffff. T’es complètement crocheté de l’esprit! » Soyons d’accord. Être crocheté de l’esprit ne veut rien dire. Mais, toi, tu y vois tout un sens, un sens que personne d’autres ne peut voir. Pour expliquer brièvement, il lui manque quelque chose, c’est comme s’il lui manquait un bras, que c’était toi qui le lui avais coupé. Si c’était vrai, ça expliquerait tout l’amour qu’il ressent pour toi, ironiquement parlant. [color=brown] « Crocheté de l’esprit? Tu ne ma l’avais pas encore faîte celle-là. Allez! Va-t-en jouer avec tes copines! Et que je ne te vois plus avec aucun autre psychiatre, si tu ne veux pas que je te crochète l’esprit! »[/brown] Il n’a rien compris au sens de crocheter son esprit. Tu lui expliqueras plus tard. Ce n’est pas le moment pour lui en donner la définition. »