I. AU MAUVAIS ENDROIT, AU MAUVAIS MOMENT

La pluie était au rendez-vous au même titre que le vent et le brouillard. Ce n'était pas un temps à rester dehors et pourtant tu étais sous cette pluie battante à courir pour rentrer chez toi. Tu ne vivais pas très loin de ton travail alors tu en profitais toujours pour te promener un peu avant de rentrer chez tes parents. Tout cela pour les voir le moins souvent possible. Tu les aimes, c'est vrai, mais tu ne supportes plus le côté snob qu'ils arborent depuis peu. Tes vêtements sont imbibés d'eau, tu es trempée jusqu'à l'os. Tu ne peux pas continuer dans cet état. Ton regard dévie vers une maison. Ce n'est pas ton genre de demander de l'aide à qui que ce soit, mais en cas de force majeur pour ce soir là tu peux te le permettre après tout. Perchée sur tes talons hauts, tu t'avances d'un pas rapide vers cette maison dont tu espère t'abriter pour une petite demi heure, le temps que la météo se calme et que tu puisses enfin retourner chez toi, tes parents doivent tout de même s'inquiéter de ne toujours pas t'avoir vu. Une fois prêt de la porte, tu donnes trois coups secs pour informer l'habitant de ta présence. Ces trois coups, ce geste de la main qui parait banal à première vu est en réalité la plus grosse erreur de toute ta vie, mais tu ne le sais pas encore. Si tu pouvais revenir en arrière tu n'agirais pas ainsi, tu prendrais tes jambes à ton cou et fuirait sans attendre une seconde de plus. Mais tu es jeune, tu es trempée et surtout, tu es naïve. La pote s'ouvre sur un homme à l'allure étrange. Mais gentille femme que tu es, tu ne juges personnes sur le physique, et loin de trouver cet homme repoussant tu te sens attirée par ce côté original que tu ne trouves chez aucun homme de ton époque. Un physique peu banal mais qui pour toi cache une gentillesse peu commune, tu en es certaine. Il t'invite à entrer. Ensuite ? Et bien ce fut les ténèbres.


II. PARCE QUE JE T'AIME
Tes membres sont douloureux. Ta tête est lourde. Mais le pire est cette douleur aux poumons, tu as l'impression de manquer d'air, tu suffoques. Tes bras liés dans ton dos te font affreusement mal tirant sur tes épaules comme pour essayer de les déboiter. Toute personne sensée aurait lâché prise. Mais toi non, parce que même si tu étais fragile, même si tu pouvais te briser en un instant, tu avais une chose que ce monstre ne pourrait pas t'enlever, la volonté de vivre. Tu t'accrochais à la vie avec le peu de force qu'il te restait. Tu ne savais pas depuis combien de temps tu étais là. Des jours ? Des semaines ? Peut-être même des mois. Bonne question. Une chose était sûre, tu en avais marre. Tu commençais à perdre espoir, tu pensais ne plus jamais revoir la lueur du jour. Alors quitte à mourir ici autant en finir de suite. C'est pour cela que tu continuais à appeler à l'aide, tu t'en moquais qu'il te tue au point où tu en étais. Cette chaise tu voulais la quitter, ce lit miteux tu ne voulais plus le voir, et cet homme tu ne voulais plus penser à lui. « Au secour ! Aidez moi ! » Tu attends. S'il t'a entendu il ne va pas tarder à venir te voir. Fixant la poignet de la porte, tu aimerais le voir arriver. Tout bonnement parce que tu en as marre d'être seule, parce que même s'il n'est pas de bonne compagnie c'est mieux que rien. Ceux qui dise qu'il vaut mieux être seul que mal accompagné ne connaissent rien de la solitude. Baissant ensuite les yeux sur une souris qui passe. Tu dis à voix basse à cause de tes cordes vocales endommagées. « Salut toi ... tu peux ronger mes liens ? » Voyant le rongeur s'éloigner, tu baisses la tête en fermant les yeux. Même les rongeurs refusent de t'adresser la parole, tout va mal autour de toi. La poignet de la porte s'abaisse ce qui signifie que ton bourreau a besoin de jouer un peu. Tu es sa poupée Barbie, il fait ce qu'il veut de toi et tu n'as pas ton mot à dire.
Il arrive, tu sens alors une boule d'angoisse te monter dans la gorge et malgré ta volonté à rester forte et à ne pas pleurer devant lui, tu fonds en larmes. Même si tu sais que cela risque de lui faire trop plaisir de voir qu'au final il a gagné, tu détestes avoir ce sentiment d'échec. Alors le voir sourire est la pire des tortures, après ce qu'il te fait endurer il se permet de te sourire. Tu aimerais lui cracher au visage, lui dire qu'il te dégoute. Mais tu ne peux pas. Pas seulement parce qu'il te tuerait peut-être pour ça, mais aussi parce qu'au fond de toi tu n'en penses pas un mot. Oui tu le détestes, mais tu ne le hais pas. Oui tu rêves de ta liberté, mais pas de sa mort. Une force étrange t'attire vers lui inlassablement, mais même avec toute la volonté du monde tu ne te l'explique pas. Il s'avance vers toi d'un pas lent, aussi lentement que coulent tes larmes. Quant il arrive près de toi, qu'il est assez près pour que tu entendes même sa respiration, tu fermes les yeux. Tu essaies de penser à autre chose qu'à ses doigts sur ton visage. Il sèche les larmes qu'il fait lui même couler, tu répètes alors toujours la même chose, lui posant toujours la même question. « Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi moi ?  » Tu ne comprends pas pourquoi cela t'arrive à toi, qu'as-tu fais pour mériter de moisir dans cet endroit avec ce tortionnaire ? Et la réponse fut la même que d'habitude, cette phrase qui sonnait faux et dont il était pourtant si sûr. « Parce que je t'aime. » A ces mots, tu te mets à pleurer de plus belle sans réellement savoir pourquoi. Peut-être parce que tu as compris qu'il ne te lâchera jamais, parce que tu es certaine de ne plus jamais revoir la lumière du jour.

III. DÉLIVRANCE
C'était très certainement la plus belle mélodie que tu n'aies jamais entendu. Les sirènes d'une brigade de police, les lumières rouges et bleues que tu aperçois au loin. Ce sont les couleurs de ta délivrance. Tu reprends enfin espoir, tu as l'impression que maintenant tout va s'arranger. Après avoir déposé un bref baiser sur les lèvres de ton bourreau, tu plantes ton regard dans le sien. « Parce que je t'aime. » C'était à ton tour de lui murmurer ces quelques mots. Tu ne sais pas si tu le penses réellement, tout ce que tu sais c'est que c'est une manière de lui faire comprendre sa défaite. Il perd, tu gagnes. Le lâchant, tu laisses les forces de l'ordre s'en charger. Tu te laisses emmener dehors mais tes larmes ne cessent de couler. Tu ne sais pas vraiment si tu pleures de joie, de soulagement ou de peur. Que vas-tu faire maintenant ? Voilà plus de quatre ans que tu es dans ce trou, tu ne connais plus rien du monde extérieure.
Regardant tout autour de toi, tu ne peux t'empêcher de chercher l'homme des yeux, tu veux le voir une dernière fois. « Il est où ? Je veux le revoir. Il est où ?! » Tu passes pour une folle à vouloir revoir cet homme qui t'a fait subir tout ces supplices. Mais tu as besoin de le revoir une fois pour pouvoir tourner la page et passer à autre chose. Pourtant tu sais que les choses ne seront plus jamais comme avant, tu ne pourras pas l'oublier. Et même si tu es soulagé de ne pas avoir à subir une fois de plus ses coups de torture, tu as peur de ressentir un manque sans lui. Après tout il est la seule personne que tu aies vu en quatre ans, ce n'est pas rien. Contrairement à ce que tu pensais, tu n'es pas obligé de retourner chez tes parents, tu es libre d'aller où tu veux. Une personne te rendra tout de même visite de temps à autre pour être sûr que tu n'as besoin de rien, pour savoir si tout va bien dans ta caboche.

IV. PRISONNIÈRE A JAMAIS
Des cartes dans les mains, tu fais un château. Après tout, que pourrais-tu faire de mieux entre ces murs d’hôpital ? Tu ne parlais pas à grand monde, il t'arrivait même de te parler à toi-même. Tu étais mieux chez toi, mais les médecins refusaient de te laisser tranquille. Apparemment tu n'étais pas assez saine d'esprit pour te guider seule, tu avais besoin d'aide. D'après les spécialistes que tu es allée voir tout cela est la faute de tes quatre ans de captivité. Sans cela tu serais peut-être une femme on ne peut plus normale, mais tu essaies de ne pas y penser pour ne pas sombrer encore plus loin dans la folie. C'est sa faute à lui, il est le seul fautif. Cet homme a bousillé ta vie, il a fait de toi son objet, et même s'il n'est plus là pour te le montrer tu le ressens encore ainsi aujourd'hui.
Soufflant sur les cartes en équilibre tu forces l'édifice à s'écrouler, aussi rapidement que ta vie. Machinalement tu fais tourner ta bague autour de ton doigt, ce bijou dont tu ne te sépares jamais. Tu l'as gardé sur toi tout ce temps et ta superstition te force à croire que c'est grâce à cette bague que tu t'en sors. Le dernier cadeau que t'a fait ta mère, elle te la offerte la dernière fois que tu l'as vu. Tu as refusé de rendre visite à tes parents après ta liberté, tu préfères te faire passer pour morte, tu refuses qu'ils te voient dans cet état. Soupirant, tu te relèves pour partir faire un tour dehors. Mais à peine la tête tourné vers la porte de sortie tu as envie de faire demi tour. Tu clignes des yeux, te les frottes, te pinces. Non, tu ne rêves pas, il est là. Vos regards se croisent, ton cœur se serre et le silence s'installe. Tu as envie de crier, de pleurer, de te rouler par terre. Mais une autre partie de toi a surtout envie de lui sauter dans les bras et le serrer contre toi pour étouffer, qu'il cesse de respirer. Pouvoir l'insulter, lui dire toutes les crasses du monde. Mais en voyant un sourire se former sur ses lèvres tu comprends que tout cela ne servirait à rien. Tu ne veux plus te battre, tu te rassois alors en le quittant des yeux et tu attends. Tu attends que quelqu'un t'achève une bonne fois pour toute.