« ONCE UPON A TIME
Ce qu'on dit et ce qu'on sait sont deux choses très différentes.

Parfois, elles sont semblables, il est vrai. C'est aussi rare que deux vraies jumelles, deux petites beautés blondes comme deux gouttes d'or, deux joyaux aux prunelles saphirées. Mais ça arrive. Octavie et Eve sont bien nées, après tout, enfants chéries d'un jeune couple français. De jolies gamines au timbre fluet, habillées pareilles et gâtées comme des princesses.

D'autres fois, elles se ressemblent peu, mais finalement, ce n'est pas vraiment fait exprès, ce n'est pas volontaire. Tout comme ce n'était pas volontaire qu'Octavie meure alors qu'Eve survit. On dira qu'Octavie avait une déficience cardiaque, que ça arrive chez les jumeaux prématurés. Que l'une était simplement plus solide que l'autre. La vérité, c'est peut-être simplement qu'Eve a tiré la couverture à elle, qu'elle n'a pas laissé sa part à Octavie. Et qu'à cause de son égoïsme, Octavie est morte. Mais ça, personne ne le dit. Pas même les parents, lorsque Eve est envoyée chez un psychiatre pour son anorexie - ça ne vient sûrement pas de là de toute façon, disent-ils à table, comme pour se rassurer ... ils ne peuvent pas avoir été de mauvais parents au point d'avoir culpabilisé leur gamine si forte qu'elle croit devoir devenir parfaite jusqu'à être dégoûtée d'elle-même.

Et, enfin, d'autres fois, on le fait exprès. Pour tromper le monde.
Comme cette fois où, rencontrant le fils de leurs nouveaux voisins, elle sourit comme si la vie était belle, comme si elle se trouvait belle. Et qu'elle lui tend la main, l'air de rien.

« Quel est ton nom ? »
« Octavie, et toi ? »
« Hyacinthe. »
« Hya-cin-the ... c'est un joli nom. »
« Et tu es une jolie fille. »

Après tout, tout le monde aime mieux Octavie qu'Eve. Ce n'est pas grave qu'Eve meure si, en échange, on récupère Octavie.

« SOME PEOPLE BRING OUT THE WORST IN YOU, OTHERS BRING OUT THE BEST, AND THEN THERE ARE THOSE REMARKABLY RARE, ADDICTIVE ONES WHO JUST BRING OUT THE MOST. OF EVERYTHING.
Ca avait commencé par une présentation, un bel après-midi d'Automne. Une présentation toute simple, comme une rencontre entre amies, une histoire qui débute. Il était une fois, disent-ils tous. Hyacinthe, lui, va plus loin. Car une fois ne lui suffit pas. Il lui en faut plus à l'avide despote. Bien plus. Une femme, une maison, un bonheur. Certains s'en contenteraient. Pas lui. Alors deux fois, ça sonne mieux. Forcément. Deux fois plus de femmes, deux fois plus d'amour. Deux fois plus de tout.

Deux fois plus de n'importe quoi.

Octavie n'accepte pas. Comme si elle pouvait ! Elle accepte tout de lui. Sa jalousie, ses insécurités, ses angoisses et sa possessivité. Elle accepte d'être à lui, pleine et entière, de n'être qu'à lui. D'annuler ses sorties pour passer une soirée avec lui parce qu'il se plaint qu'elle l'abandonne. Elle accepte de ne pas être interviewée par ce journaliste, dans ce joli restaurant, car je t'aime tellement que je pourrais le tuer s'il ose poser les yeux sur toi, tu entends ! Elle accepte toutes ces choses, même si ça veut dire restreindre sa liberté. Parce qu'elle l'aime, parce qu'il est à elle. Le sien. A elle. Mais ça ? Jamais. Jamais, plutôt mourir.

« Comment oses-tu ? » tempête-t-elle, furieuse et blessée : « Comment crois-tu que je puisse accepter ça ? Tu as PROMIS, Hyacinthe. Tu as PROMIS comme moi. Je suis à toi, mais TU ES A MOI. »

Et elle menace de partir. Mais il la retient toujours.
Et elle menace de le quitter. Mais il lui jure toujours de l'aimer, qu'elle est la première.

Et parce qu'elle est stupidement amoureuse, elle laisse faire. Elle le laisse ramener une deuxième, puis une troisième et une quatrième femme. Elle le laisse les collectionner comme des trésors précieux, elle le laisse l'humilier à chaque fois qu'il rejoint le lit de l'une d'elles, à chaque fois que son cœur ose battre pour elles et pas pour elle seule.

Bien sûr, elle tempête. Elle hurle, elle le provoque, un sourire acide aux lèvres et un orage au fond des pupilles. Frappe-moi. Ose me frapper parce que je refuse d'être encore ta chose si tu n'es plus la mienne. Je m'en fous, disent ses yeux. Elle le défie. Il dit stop et elle continue, il dit reste et elle part. Elle refuse d'obéir à nouveau, elle tire sur la corde jusqu'à l'extrême limite parce qu'elle ne veut plus respecter leur promesse s'il ne la respecte pas non plus. Donnant-donnant.

Mais les faits sont là : elle reste toujours et elle le laisse la rendre faible, détestable et pitoyable.

« THEY HURT YOU. YOU HURT 'EM BACK. OR MAYBE IT IS THE OTHER WAY AROUND. WHATEVER. SOMEDAY YOU MIGHT FIND A WAY TO FORGIVE EACH OTHER. BUT IT WON'T BE LIKE IT USED TO 'CAUSE THAT PAIN NEVER REALLY GOES AWAY.

Et ils s'amusent tous, riant et dansant, inconscients du trouble qui l'agite. Naïve amitié ou sympathie cruelle, ils lui souhaitent un joyeux anniversaire, lui rappelant qu'elle est maintenant plus vieille d'une année alors que son fils, son tout petit, lui, ne vieillira plus et n'a même jamais eu le temps de le faire.

« A quoi me sert ton amour si tu n'es pas capable de sauver mon enfant ? »

Elle se montre cruelle et injuste, mais n'en a guère conscience. Son désespoir et sa peine la poussent à trouver un coupable et si ce n'est pas Hyacithe, alors ce sera elle. Et c'est au dessus de ses forces. Et, après tout, lui, il ne semble pas souffrir de cette perte, il ne semble même pas se soucier de la peine qui lui écrase le cœur. Alors elle peut bien l'accabler, se venger de ce plaisir indécent qu'il a à discuter avec une autre qu'elle. N'a-il pas promis qu'elle serait toujours la première ? Qu'il serait toujours là pour elle ? A l'aimer pour le meilleur et pour le pire ?

« Explique-moi, Hyacinthe. » exige-t-elle alors que l'homme, interrompu dans son récit, délaisse Angélique pour se tourner vers elle.

En son cœur, Octavie ne peut s'empêcher de ressentir la brûlure apaisante de la revanche, futile mais bienfaisante, lorsqu'elle gagne enfin, pleine et entière, l'attention de Hyacinthe. La française n'a rien contre la petite Angélique en temps normal. Seulement, rien n'est normal ce soir. Une semaine plus tôt à peine, elle était mère en devenir, heureuse dans sa grossesse. Mais maintenant ? Maintenant qu'est-elle donc ? Parfois, sa main se pose sur son ventre encore gros avant de se rendre compte que la vie n'y niche plus. Qu'il n'y a rien d'autre que la mort là-dedans. Et cela la révulse, l’écœure, lui donne envie de vomir. Seulement, Hyacinthe attend d'elle qu'elle sourie et qu'elle aille bien. Cela ne ferait pas bon genre, n'est-ce pas ? Elle n'a pas envie que tout le monde la voie, son rimmel traçant le chemin de ses larmes et le visage défait, pas vrai ?

Mais elle n'a qu'envie de leur hurler qu'elle s'en fout.
Et qu'elle les hait. Tous. Sans exception.

Elle hait sa faiblesse, cette faiblesse qui a tué son enfant. Elle hait ses parents qui laissent à son mari la tâche de la consoler, fermant les yeux sur l'humiliante situation qui est la sienne. Elle hait les regards dégoulinants de pitié de ces femmes. De ses femmes qui la regardent de haut maintenant - elle est la première, elle est la seule qui ait jamais eu l'amour entier de Hyacinthe, la seule qui connaisse le vrai Hyacinthe, doux et aimant. Elle hait les médecins qui lui disent qu'heureusement, elle pourra en avoir d'autres - mais, elle, elle ne veut que celui-ci, celui qui est mort et pas un autre. Et surtout, surtout. Elle hait Hyacinthe qui rit sans elle alors qu'il aurait dû pleurer avec elle.

« Je te hais » lâche-t-elle, comme une provocation, en se levant pour quitter la salle.

Pour cette dernière bravade, Hyacinthe mettra l'oiseau dans une jolie cage et lui arrachera les ailes, aidé de jolies pilules bleues et blanches comme ses yeux. Tu as promis de m'aimer pour toujours, qu'il lui rappellera, gamin tyran.